De décennie en décennie, nous avons pu observer l'évolution de la technologie en Formule 1.

D'une part, les monoplaces elles-mêmes ont changé, se chargeant de plus en plus d'électronique pour devenir, depuis l'ère turbo hybride, une sorte d'ordinateur sur roues, pour le meilleur (réglages, données) et pour le pire (extinctions soudaines des monoplaces, impossibles à redémarrer sans assistance, multiples manipulations sur le volant pour les pilotes).

D'autre part, les outils à disposition du muret des stands et des ingénieurs se sont affinés. De nos jours, rien ne peut leur échapper, que ce soit sur la piste (vent, températures, concurrents, temps au tour possibles...) ou sur la monoplace (températures, comportement, données d'acquisition du pilote...).

On pourrait aussi évoquer les simulateurs et les souffleries, outils indispensables aujourd'hui pour le développement des monoplaces. Voilà pour la partie visible de l'iceberg.

Derrière tout cela, à des centaines voire des milliers de kilomètres des circuits, des superordinateurs tournent à plein pot pour évaluer toutes les stratégies possibles et imaginables selon un nombre inoui de scénarios de course (ou de qualifications). L'objectif de tels outils est d'optimiser les stratégies (pneumatiques, arrêts aux stands etc.) afin que les pilotes et les écuries obtiennent le meilleur résultat possible. D'ailleurs, on entend régulièrement souvent des pilotes regretter le manque de suspense en F1 en déclarant qu'ils connaissent avant le départ de la course leur position d'arrivée. C'est lié à ces superordinateurs qui simulent divers scénarios et estiment la meilleure position possible pour le pilote à l'issue de la course, ce qui définira l'objectif de course et les différents plans à appliquer, selon les scénarios qui se déroulent en course.

Malgré tous ces moyens, comme vous le savez tout aussi bien que moi, des erreurs ont lieu, ce qui est normal puisqu'au final, ce sont des êtres humains qui sont aux manettes, que ce soit sur le muret, dans le paddock ou dans les monoplaces. Prenons un exemple concret de cette saison 2019 : comment, alors que Ferrari fait partie des écuries ayant le plus de moyens, n'ont-ils pas fait repartir Charles Leclerc en Q1 ? Comment ont-ils pu être sûrs que son temps suffirait pour passer en Q2 ? L'évolution de la piste pouvait être prévisible (même sans moyens extraordinaires et encore plus avec les données qu'ils ont) et était visible, vu les temps de certains concurrents, quelques minutes avant la fin de la séance.

Par conséquent, nous pouvons commencer à nous interroger sur la pertinence de ces outils informatiques démesurés, en relation avec le facteur humain prépondérant.

Parlons maintenant des coûts. Il s'agit d'une problématique importante dont les instances disent s'intéresser, en vue des changements majeurs envisagés en 2021. On parle beaucoup de standardisation de pièces, de budgets plafonnés mais assez peu voire pas des super-ordinateurs. Ces outils représentent des coûts relativement élevés, accentuant la distorsion entre petites et grosses écuries. En effet, ces dernières peuvent se permettre tous les excès, là où les petites devront rationaliser les dépenses, donc soit moins investir sur ce point soit sacrifier autre chose pour être à la hauteur de la bataille des données.

Du point de vue du spectateur, cela ne présente guère d'intérêt, tout ceci étant invisible en course. Du point de vue de la course en elle-même, cela joue, comme on l'a vu plus haut, mais n'empêche pas des erreurs d'être commises.

Ainsi, voici un aspect qui devrait intéresser les instances en vue du règlement de 2021, normalement ratifié en octobre 2019 (sous réserve d'un énième report).

Un autre souci, plus visible, est que la réflexion du pilote sur la stratégie de course est bridée. Les ingénieurs de course ont entre leurs mains tous les éléments, dont pas mal qui sont inconnus du pilote lors de la course. C'est pour cela que, lors des conversations radio, il est commun d'entendre les ingénieurs donner des instructions sur la stratégie de course. Seulement, parfois, quand les aléas se succèdent, les pilotes peuvent se révéler dans la lecture de course. Malgré cela, trop souvent on les empêche d'exprimer leur ressenti et on attend que l'informatique fasse son oeuvre, que les données extraites soient analysées, simulées, transmises aux ingénieurs qui ensuite doivent prendre une décision. C'est un processus plutôt court compte tenu des scénarios mais long dans la course, par exemple lorsque la voiture de sécurité entre sur la piste. Combien de fois a-t-on vu Mercedes se planter (en 2018 notamment) de stratégie lors de la sortie de la voiture de sécurité ! A posteriori, il leur est alors arrivé d'invoquer un souci logiciel.

L'ingénieur a un rôle primordial, en ce qu'il permet au pilote d'avoir des yeux partout. Le pilote devrait pour autant pouvoir s'affirmer un minimum, sans devoir sans cesse attendre la décision de son écurie. D'ailleurs, il arrive que cela énerve les pilotes en pleine course : les ingénieurs sont tellement habitués à diriger leurs pilotes qu'ils en viennent à leur dire tout, même des choses évidentes pour le pilote. On se souvient de Kimi Räikkönen clamant : "Laissez-moi tranquille, je sais ce que je fais" à Abu Dhabi en 2012 ou encore Fernando Alonso dictant souvent sa stratégie.

Les deux derniers points que je vais évoquer sont assez décalés par rapport au reste et n'ont pas de rapport direct avec ce qu'il se passe en piste.

Je vais ainsi rentrer sur le terrain de l'écologie. La Formule 1, depuis 2014, est dans une ère hybride, avec des outils de récupération d'énergie (par le freinage et la chaleur). De plus, le règlement a limité la quantité d'essence embarquée comme jamais, promouvant une efficience de consommation. A côté de cela, des super-ordinateurs et des serveurs informatiques tournent à plein régime, ce qui représente une consommation folle et un coût écologique proportionnel. Il faut adopter un raisonnement logique : si les instances de la F1 souhaitent poursuivre cette voie d'efficience, elles doivent s'intéresser de près à cet aspect. Par ailleurs, cet aspect est souvent ignoré des débats sur l'écologie donc cela pourrait être un bon coup de communication pour le sport, ainsi qu'une médiatisation de cette problématique d'enjeu international.

L'informatique est omniprésent en F1 : au sein des monoplaces, sur le muret des stands, dans le paddock, à l'usine à des milliers de kilomètres. Le risque majeur est celui d'un piratage, soit pour commettre une sorte d'attentat soit pour espionner industriellement. C'est un sujet que la F1 prend au sérieux : des mesures ont déjà été prises il y a plusieurs années. Ne faudrait-il pas aller plus loin ? La FIA ne devrait-elle pas avoir un contrôle plus aigu sur les outils informatiques des écuries ?

En définitive, je ne pense pas du tout qu'il faille supprimer l'informatique en Formule 1. Les données acquises permettent d'affiner les stratégies, d'obtenir des informations déterminantes pour optimiser le moindre détail, ce qui est bien l'objet de la F1, sommet du sport automobile. En revanche, la démesure n'est pas de mise non plus, pour les raisons évoquées.

Il conviendrait donc de limiter les moyens pouvant être mis dans ce domaine, soit en fixant un budget plafond pour tout ce qui est acquisition de données et super-ordinateurs, soit en standardisant les outils et procédures.

L'avenir proche devrait nous donner des éléments de réponse à ce sujet.